L’exposé de Guillaume Pitron, journaliste spécialisé dans la géopolitique des matières premières, invité de l’émission La tête au carré présentée par Mathieu Vidard sur France Inter le 23 janvier 2018, intitulée « Les métaux rares » , consultable et ré-écoutable (54 minutes), a de quoi nous interroger.
Mais que sont donc ces terres ou métaux rares ?
Ce sont toute une catégorie de métaux ou de ressources minières disponibles dans l’écorce terrestre en concentrations infimes, ce qui rend leur exploitation difficile et compliquée. Les noms de ces matières, assez peu connus et presque poétiques, ont parfois des consonances dignes des alchimistes : europium, praséodyme, indium, prométhium, coltan, lutécium, yttrium, antimoine, etc.
Ce qu’il faut savoir à propos de ces minéraux très particuliers, c’est qu’ils sont devenus indispensables pour toutes sortes d’applications industrielles dont est fait le quotidien de notre monde actuel et dont on ne saurait se passer :
– les aimants de forte performance aux néodymes, qu’on retrouve partout, par exemple dans les moteurs électriques de voitures ou dans les éoliennes (jusqu’à 600 kg !)
– les accumulateurs électriques (accumulateurs lithium-ion) qu’on retrouve aussi bien dans les ordinateurs portables que dans nos téléphones mobiles et autres smartphones
– les semi-conducteurs et les développements de technologies de pointes exploitent d’une manière ou d’une autres les extraordinaires propriétés électro-magnétiques de ces matériaux. Ex. : les capteurs solaires photovoltaïques, toute la technologie des ordinateurs et des télé-communications, les écrans plats, les multiples applications du laser et des technologies optiques, la physique nucléaire, etc.
– une grande quantité d’alliages métalliques indispensables pour obtenir des qualités et performances qui seraient inatteignables sans ces précieux auxiliaires de fabrication. Exemples : alliages anti-corrosion, ressorts en aciers spéciaux, aéronautique.
Pourquoi l’exploitation des terres rares aurait de quoi nous inquiéter ?
1) parce que l’extraction et surtout le raffinage de grandes quantités de ces minerais sont générateurs d’une pollution énorme, notamment par les métaux lourds et les solvants rejetés dans l’environnement des cours d’eau (rivières, lacs).
La belle révolution industrielle du 21ème siècle dont nous rêvons tous s’appuie sur le développement des énergies propres et renouvelables pilotées par les moyens numériques dont nous disposons.
Or, ces 2 piliers sont sous-tendus par l’exploitation des terres rares dont nous ne voyons pas directement les effets dévastateurs sur l’environnement
2) Les industries des terres rares des pays occidentaux dont font partie la France, mais surtout les Etats-Unis et le Canada, ont toutes été progressivement rachetées par la Chine, qui a pu s’emparer de ce monopole sans trop de résistances : l’occident n’était pas trop mécontent de voir partir une industrie source de tant de nuisances environnementales à grande échelle. Nous préférons acheter à la Chine ces fameux métaux rares directement utilisables après valorisation réalisée dans les usines chinoises, ou encore sous-traités en Malaisie.
Les dégâts ne sont plus à notre porte, mais ils sont bien réels, et bien plus importants dans ces pays où la loi du profit impose de produire au moindre coût, donc avec le minimum de précautions pour la santé des travailleurs et de leur environnement.
La Chine a relevé le défi d’un savoir-faire industriel et de sa croissance au prix d’un désastre écologique dénoncé par les chinois eux-même qui ne veulent plus en payer le prix.
Cette situation de monopole absolu de la Chine pourrait être aussi la source d’inquiétudes géopolitiques sérieuses de la part de tous les autres pays industrialisés qui dépendent de cette industrie : les armements (missiles tout particulièrement, drones, etc.) dépendent directement de l’utilisation des métaux ou autres terres rares.
Ceci n’est qu’un exemple, mais on peut en imaginer plein d’autres : aéronautique, automobile, informatique, téléphonie mobile, médias, etc, etc.
« Le moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares »
Cette phrase visionnaire qui résume tout a été prononcée dans les années 1990 par Teng Hsiao-Ping, grand redresseur de la Chine post-communiste.
En septembre 2010, la Chine a fait trembler le Japon, grand consommateur de ces technologies fines, par rupture d’approvisionnement en métaux rares suite à un différent maritime, plongeant les industriels japonais dans un état de panique, et provoquant une onde de choc aux Etats-Unis.
Le constat est désormais limpide : un pays détient les clefs du fonctionnement technologique et industriel de tous les autres pays de la planète par la maitrise et le monopole des terres rares, lui conférant un moyen de pression géopolitique aussi puissant qu’insidieux, au prix d’atteintes majeures à la santé et à l’environnement que le peuple chinois accepte de moins en moins.
Références : livre La Guerre des métaux rares de Guillaume Pitron aux éditions Les Liens qui Libèrent.
Voir aussi Terre rare sur Wikipédia.